Automobile et environnement : questions d'actualité

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Les constructeurs automobiles ont-ils atteint leurs objectifs CO2 pour 2021 ?

L'année 2021 était redoutée par nombre de constructeurs automobiles en raison de l'arrivée de nouvelles normes CO2, très sévères malgré les progrès techniques effectués dans les années 2010. En fin de compte, pratiquement tous les fabricants ont réussi à atteindre les objectifs imposés. Tour de force ou tour de passe-passe ?

Que ce soit pour améliorer notre consommation ou pour pallier une fiscalité grandissante, ou peut-être simplement pour réduire notre impact environnemental, les constructeurs automobiles travaillent depuis des décennies à faire chuter les émissions de CO2 de leurs modèles. Pourtant, depuis quelques années, l'évolution de ces émissions est loin d'être monotone. D'un côté, des progrès techniques constants, et une électrification grandissante, de l'autre des compromis à trouver entre les polluants, des limites physiques et des changements dans les habitudes des consommateurs : la route était semée d'embûches pour les fabricants.

L'année 2021 s'annonçait cruciale pour les émissions de CO2 : une mise à jour de la norme européenne a drastiquement sévérisé la fiscalité liée aux émissions de gaz à effet de serre, sous peine de sanctions financières très lourdes. En fin de compte, tous les groupes automobiles ont réussi à limiter la casse, en faisant nettement chuter leurs niveaux de CO2. Mission accomplie ? Pas si simple... Quelques explications pour comprendre la situation.

Émissions de CO2 : avant l'arrivée de l'électrique

Si aujourd'hui l'électrification du parc automobile (hybrides inclus) est l'enjeu principal de tous les constructeurs, c'est pourtant l'essence et le Diesel qui ont constitué l'immense majorité des ventes pendant les dix dernières années. Et c'est donc de ces deux motorisations que dépendaient, et dépendent toujours en grande partie, les émissions de CO2 de nos voitures. Commençons donc par nous pencher sur ces deux technologies :

Évolution des émissions de CO2 depuis 2010

Ces deux courbes montrent les émissions moyennes de CO2, en g/km sur cycle, de l'ensemble des véhicules immatriculés chaque année en France, peu importe leur marque. On distingue ici les moteurs essence et Diesel. On remarquera que globalement, les motorisations essence émettent plus de CO2 que les Diesel : c'est une caractéristique inhérente aux deux technologies, le Diesel ayant un meilleur rendement.

Les deux motorisations suivent la même évolution : jusqu'en 2016 environ, une progression constante et régulière, puis une soudaine tendance à la hausse. Plusieurs raisons permettent d'expliquer cela.

Jusqu'en 2015, la courbe suit les progrès technologiques importants qui ont marqué le début des années 2010 : gestion électronique du moteur, amélioration du rendement du moteur grâce au numérique, matériaux plus légers et performants, injection directe en Diesel puis en essence, augmentation de la pression d'injection, turbocompression, progrès aérodynamiques, et on en passe... Autant d'évolutions techniques qui ont permis d'atteindre des consommations très basses, et de réduire de près de 20% les émissions de carbone en moins de 10 ans. Une performance impressionnante si on la compare à de nombreux autres domaines industriels !

- La courbe suit les progrès technologiques importants qui ont marqué le début des années 2010 -

Mais ce n'est pas tout : les constructeurs ont aussi profité d'un cycle NEDC obsolète et de plus en plus facile à 'optimiser', notamment avec la généralisation de l'électronique. Les modes de conduite optimisés pour le cycle ont contribué à l'annonce de résultats étonnamment vertueux, de même que les astuces variées pour atteindre une consommation minimale lors des tests : rétroviseurs rabattus, sièges arrière retirés, versions sans aucune option pour artificiellement minimiser la masse des véhicules... Les progrès affichés ont sans doute été édulcorés en jouant avec les limites de la norme européenne de l'époque.

- Le Dieselgate change définitivement la donne pour les constructeurs -

Au point qu'en 2015, le Dieselgate met en lumière tous ces excès, et change définitivement la donne pour les constructeurs. Dès lors, plus question de tricher : les constructeurs tentent de faire oublier leurs erreurs en adoptant des pratiques plus représentatives de la réalité. Et pour garder tous les polluants locaux dans les limites imposées (les NOx pour les Diesel notamment), les constructeurs ont souvent été obligés de faire des compromis sur les réglages de leurs moteurs, notamment du côté de la consommation, qui n'est pas réglementée par les normes Euro. C'est le début des complications pour les émissions de CO2...

Conséquence indirecte du Dieselgate : la mise en place accélérée du nouveau cycle WLTC, nettement plus sévère et réaliste que le cycle NEDC précédent, et qui a commencé à être utilisé en 2017. Progressivement, les émissions retenues ont donc intégré ce nouveau cycle, selon une méthode de calcul progressive jusqu'en 2020 (aujourd'hui, c'est la mesure sur WLTC qui est utilisée pour tous les véhicules). Cette transition se ressent surtout dans les chiffres de 2018 et 2019, pour lesquels un nombre croissant de modèles vendus sont homologués en WLTC.

Autre conséquence notable, d'un point de vue technique cette fois : pour continuer à respecter les normes même avec l'arrivée du nouveau cycle, les fabricants de voitures ont redirigé leurs investissements non plus vers l'amélioration de la consommation, mais vers la réduction des polluants réglementés, dont le CO2 ne fait pas partie. Beaucoup moins d'efforts ont alors été consentis sur le CO2 ! À noter que les progrès déjà effectués atteignaient naturellement une limite, qui de toute façon n'aurait sans doute pas permis d'améliorations drastiques sans faire exploser le prix des voitures.

- Les SUV, généralement lourds et dotés d'une aérodynamique médiocre, ont envahi le marché -

Enfin, les émissions de CO2 après 2015 ont reflété les changements dans les habitudes des consommateurs : c'est pendant cette période que les SUV (ces voitures imposantes aux allures de 4x4) sont devenus très à la mode. Ces gros modèles, généralement lourds et dotés d'une aérodynamique médiocre, ont envahi le marché, à la demande des utilisateurs, soutenus par des constructeurs qui profitent de marges importantes sur ce type de véhicule. En 2019, les SUVs représentaient près de 40% des ventes de voitures neuves ! Sans surprise, ils ont donc contribué en grande partie à la hausse des émissions de CO2 des voitures neuves.

Norme CAFE et électrification

Au vu de cette analyse, on pourrait penser que la croissance des émissions de CO2 va se poursuivre. Mais c'est sans compter sur la législation européenne sur le CO2 : la norme CAFE ! Celle-ci existe depuis un bon moment : elle impose des taxes importantes aux constructeurs dont les émissions de CO2 (celles montrées sur les courbes ci-dessus) sont trop élevées.

- À partir du 1er janvier 2021, le seuil est abaissé à 95 gCO2/km -

Jusqu'à récemment, le seuil des taxes (un niveau de gCO2/km à ne pas dépasser) était suffisamment haut pour que les constructeurs ne soient pas inquiétés. En revanche, une mise à jour a été étudiée et validée ces dernières années, et pas des moindres : à partir du 1er janvier 2021, le seuil est abaissé à... 95 gCO2/km ! Bon, en réalité, c'est un tout petit peu plus compliqué que ça, car cette limite est ajustée en fonction de la masse moyenne des véhicules vendus, ce qui est d'ailleurs grandement sujet à débat au sein des institutions européennes en ce moment... Mais retenons que le nouveau seuil est nettement plus bas que le précédent, environ 25g/km plus bas que les niveaux mesurés en 2019 ! Et qu'il s'applique sur la moyenne de l'année précédente, donc sur les véhicules vendus en 2020.

Cette nouvelle mesure fiscale est une véritable menace pour certains groupes automobiles. Pour les plus gros, l'amende se serait chiffrée à plusieurs centaines de millions d'euros si les données de 2019 avaient été utilisés ! Les constructeurs ont donc dû faire face à un défi de taille en 2020 : réduire drastiquement leurs émissions de CO2 en un temps record. Les données pour l'année 2020 commencent à être publiées, et voilà ce que ça donne :

Évolution des émissions de CO2 en 2020

Aussi surprenant que cela puisse paraitre... Pratiquement tous les constructeurs ont réussi à passer sous le seuil ! Les quelques-uns qui n'ont pas atteint leur objectif n'en sont pas passé loin, et s'en sont sortis avec des amendes très raisonnables. Miraculeux, n'est-ce pas ?

- Les constructeurs ont joué sur tous les leviers possibles pour faire baisser leurs statistiques -

Ne vous y fiez pas, cela n'a rien d'un miracle... Au contraire, les constructeurs ont joué sur tous les leviers possibles pour faire baisser leurs statistiques. Et dans le même temps, la législation européenne leur a permis d'éviter le pire grâce à des incitations très favorables pour les véhicules électrifiés.

En effet, afin de promouvoir et encourager l'électrification du parc automobile (comprendre : véhicules électriques, mais aussi hybrides rechargeables), un système de 'bonus' a été mis en place pour ces modèles. Plus précisément, pour l'année 2020, chaque voiture électrique ou hybride rechargeable émettant moins de 50gCO2/km sur cycle comptait double dans le calcul de la moyenne. En d'autres termes, si un constructeur vendait en 2020 un Diesel et une électrique, dans la moyenne cela comptait comme un Diesel et deux électriques (donc 2 fois 0 gCO2/km).

- L'électrique et les hybrides rechargeables ont connu en 2020 un essor sans précédent

Les constructeurs ont donc tout misé sur l'électrique et les hybrides rechargeables, qui ont connu en 2020 un essor sans précédent : presque +300% pour les PHEVs et +25% pour les 100% électriques, d'après les premiers chiffres parus ! Cela correspond donc à environ 10% des ventes qui compteraient pour pratiquement 0 gCO2/km. Et comme on les a doublées cette année... Environ 20% des émissions prises en compte pour la moyenne étaient quasi-nulles !

Ceci a probablement été amplifié par la crise sanitaire liée au Covid-19, qui a vu les ventes globales de voitures chuter de façon spectaculaire. Reste à savoir si ces pourcentages se maintiendront après la crise, ou si les circonstances exceptionnelles ont faussé les statistiques.

Mais crise ou non, les constructeurs avaient d'autres cartes dans leurs mains : tout d'abord, on a assisté depuis 2019 à un nombre sans précédent de fusions et partenariats de grands groupes automobiles, justement dans le but d'équilibrer les gammes de véhicules vendus ou de partager les technologies d'électrification. Tesla avec Fiat, Fiat et PSA, Ford et VW... Le calcul étant fait sur les immatriculations de l'ensemble du groupe, cela a permis par d'habiles montages légaux d'optimiser la moyenne et éviter les lourdes sanctions financières.

Du côté des ventes, là aussi des astuces ont été utilisées pour optimiser les comptes. Notamment, toutes les marques ont fait jouer leur savoir-faire dans la gestion des stocks et de la production : en effet, les immatriculations et ventes de 2019 ont été retardées autant que possible pour être effectives en 2020. Par ailleurs, les cadences de production des véhicules électriques ont été augmentées depuis 2019, et l'excédant de véhicules non vendu a été stocké, puis immatriculé par les constructeurs en 2020. Ils seront revendus comme des 'occasions 0km' en 2021, ce qui leur permet tout de même d'être pris en compte pour 2020. De cette manière, les chiffres pour les voitures électriques ont été artificiellement gonflés.

- Renforcé début 2020, le nouveau barême de bonus/malus est devenu encore plus pénalisant pour les véhicules les plus émetteurs en CO2 -

En France, le nouveau barême de bonus/malus a aussi joué : renforcé début 2020, il est devenu encore plus pénalisant pour les véhicules les plus émetteurs en CO2, ce qui en a sans doute découragé plus d'un. Les consommateurs se seront donc sans doute plus naturellement tournés vers des motorisations bénéficiant d'un bonus (justement ceux qui comptent double pour le calcul de la moyenne !).

Et pour finir, du côté technique, les constructeurs ne se laissent pas aller : après quelques années à se concentrer sur les polluants autres que le CO2, ce dernier est revenu au premier plan. Notamment, la plupart des véhicules 'premiums' sont maintenant équipés d'une hybridation légère, qui permet de réduire légèrement leur consommation de carburant. Les hybrides classiques ont eux aussi continué de progresser, favorisant une moyenne d'émissions de CO2 plus basse.

C'est ainsi que, pour l'année 2020, les constructeurs ont réussi ce qui paraissait encore impossible il y a quelques années : atteindre des niveaux de CO2 inférieurs à 100g/km en moyenne !

Enfin une baisse durable des émissions de CO2 ?

Si les chiffres de l'année 2020 sont encourageants, il est sans doute trop tôt pour crier victoire... Comme discuté ci-dessus, de nombreux leviers artificiels ont été employés pour atteindre les objectifs, et il est peu dire que 2020 a été une année particulière. Le vrai défi sera maintenant de faire durer ces résultats dans les années qui viennent, d'autant plus que les bonus à l'achat devraient baisser et que les véhicules électrifiés ne devraient pas compter double dans la moyenne éternellement. Si la tendance se maintient, les constructeurs auront habilement optimisé leurs ventes pour cette première année d'application, en évitant des pertes financières inutiles. Si au contraire, les manoeuvres pénalisent l'année 2021... Cela risque de leur coûter très cher au 1er janvier 2022 ! À suivre...

- La nouvelle norme ne prend en compte que les mesures à l'échappement sur cycle -

Par ailleurs, le débat grandit quant à la mise en avant à marche forcée des véhicules électrifiés. En effet, la nouvelle norme ne prend en compte que les mesures à l'échappement sur cycle, et ignore les émissions liées à la production d'électricité ou la consommation réelle des hybrides rechargeables. À l'heure actuelle, la Commission Européenne étudierait la possibilité d'utiliser l'Analyse de Cycle de Vie (ACV) des véhicules plutôt que les simples émissions à l'utilisation. Cela compliquerait encore la tâche pour les constructeurs, mais permettrait sans doute de faire un nouveau pas en avant dans la lutte contre le changement climatique.

Enfin, si aujourd'hui la masse moyenne des voitures vendues est prise en compte et aide les constructeurs (d'autant plus que les véhicules électriques sont très lourds, et permettent donc artificiellement d'augmenter le seuil !), cela est contesté par un nombre grandissant d'états, dont la France. L'inquiétude derrière cela est que les véhicules les plus légers risquent d'être délaissés, simplement pour réhausser le seuil. Et on vendrait donc davantage de modèles lourds, ce qui devient contre-productif, alors que la rigueur énergétique devrait être la priorité.

Le sujet est donc à suivre dans les années qui viennent, d'un côté chez les constructeurs, qui auront fort à faire pour maintenir leur niveau de 2020, de l'autre du côté des législateurs, pour s'assurer de fixer des objectifs qui auront véritablement un impact significatif pour notre planète.

Paul Guillard | Publié le 9 Feb 2021 - Crédit photo : Gerd Altmann de Pixabay

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